Les coraux froids (ou coraux profonds) sont des organismes-clés des écosystèmes marins profonds. Comme les coraux tropicaux, bien que dépourvus de symbiontes photosynthétiques, les coraux froids tels les gorgones (coraux ‘mous’ à squelette protéique principalement) et les scléractiniaires (coraux ‘durs’ à squelette calcaire) sont des espèces ingénieures qui forment des récifs servant de nurseries et de zone de protection, de reproduction et de nutrition pour de nombreuses espèces (poissons, crustacés, mollusques, échinodermes…), dont certaines ont un intérêt patrimonial et commercial. Les récifs de coraux froids constituent ainsi des habitats abritant l’une des plus riches biodiversités de grande profondeur.
C’est notamment le cas dans les canyons méditerranéens du Golfe du Lion, et plus particulièrement le canyon Lacaze-Duthiers situé au large de Banyuls-sur-Mer. En effet, dans cette région la courantologie particulière, fait de mouvements épisodiques descendants (downwellings) dont l’intensité dépend des conditions météorologiques, permet l’apport de matière organique (zooplancton, phytoplancton) capturé par les tentacules des coraux et source d’une riche alimentation. Ainsi, les épisodes hivernaux de plongées d’eau dense (ou cascading) lié au refroidissement des eaux de surface sous l’effet de la Tramontane et du Mistral, sont un activateur de croissance des colonies. Mais l’absence de ces évènements lors d’hivers plus doux entraîne un ralentissement de croissance des récifs. De plus, en Méditerranée, les coraux d’eaux froides vivent à des températures d’environ 14°C, proche de leur température maximale de survie, et ils pourraient décliner rapidement sous les effets du changement climatique. Des menaces directes supplémentaires telles que la pêche profonde (notamment par chalutage) et le rejet de déchets (plastiques particulièrement) ou de polluants, rend incertaine la survie des massifs de coraux profonds méditerranéens. Avec un taux de croissance bien inférieur à leurs congénères de surface (quelques mm à cm par an), ces récifs mettent plusieurs centaines d‘années à se former. Aussi, toute casse de colonies ou altération de croissance aura des conséquences très fortes sur le maintien de la biodiversité associée.
La vulnérabilité de ces espèces ingénieures et leur importance écologique et sociétale, a conduit à imposer des mesures de protection strictes en faveur de certaines espèces tels Lophelia pertusa, placé sur la liste rouge IUCN comme ‘espèce en danger d’extinction’. Ces mesures visent à préserver la fonctionnalité de l’habitat, notamment grâce à la mise en place d’aires marines de protection, comme c’est le cas pour le Parc Naturel marin du Golfe du Lion qui inclus tout le périmètre du canyon Lacaze-Duthiers.
Cette conférence est présentée dans le cadre de l’hommage rendu en 2021 au Professeur Henri de Lacaze-Duthiers à l’occasion du 200ème anniversaire de sa naissance et au 140ème anniversaire de la création du Laboratoire Arago.
Portrait du conférencier
Franck Lartaud est Maître de Conférences de Sorbonne Université, basé à la station marine de Banyuls-sur-Mer. Titulaire d’un Doctorat de Géosciences de l’Université Pierre et Marie Curie, il a ensuite rejoint un laboratoire de biologie marine (LECOB) où il travaille dans les domaines de l’écologie et de la géologie marine, avec une expertise scientifique sur les interactions entre organismes calcifiants et leur environnement. Plus particulièrement, il étudie la réponse de croissance du squelette des organismes (coraux, mollusques) face aux changements environnementaux et anthropiques, notamment l’impact du réchauffement climatique et des plastiques, dans des écosystèmes allant des eaux douces jusqu’aux milieux marins profonds (canyons sous-marins, sources hydrothermales médio-océaniques).